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The Power (of) the Fragile

Chorégraphie Mohamed Toubakri – interprétation Mimouna (Latifa) Khamessi et Mohamed Toubakri – au Théâtre de la Bastille, dans le cadre du festival Faits d’hiver,

© Christian Tandberg

Dans The Power (of) the Fragile, un homme et une femme arrivent de la salle en discutant tranquillement entre eux, en arabe tunisien. Ils poursuivent leur chemin, montent sur scène en continuant leur conversation d’une façon très détendue. Mohamed Toubakri fait visiter le théâtre à une apprentie danseuse et lui détaille tous les équipements en traduisant les mots techniques du fonctionnement du plateau : projecteurs, fils, son, coulisse, etc. Cette apprentie-danseuse n’est autre que Latifa, sa mère, et la transmission se fait ici en sens inverse, du plus jeune à la plus âgée. Débute l’atelier dans lequel elle ébauche un geste, attentive et tendue vers la démonstration, puis un second mouvement, fragile encore. Elle s’initie aux positions et aux figures, et capte tout, se positionne au centre, dans un rond de lumière, sa présence est belle et chargée. Puis elle se lance dans des enchaînements et entre dans la danse avec un pas de deux. Son fils-pygmalion, son guide, assure les portés. La musique les accompagne.

© Christian Tandberg

Derrière la rencontre entre la mère et le fils, singulière en soi, qu’ils réalisent avec une grande simplicité et beaucoup de tendresse, Mohamed Toubakri raconte le parcours et le fondement de sa démarche : Latifa a toujours voulu être danseuse, c’était son rêve d’enfance, il l’a su il y a une huitaine d’années seulement, lui qui s’était adonné au breakdance dès l’âge de douze ans avant de se former à l’Académie Internationale de la Danse à Paris, puis dans l’école que dirige Anne Teresa De Keersmaeker, P.A.R.T.S., à Bruxelles. Il a travaillé avec de grands chorégraphes, dont Jan Lauwers et Sidi Larbi Cherkaoui. Quand il a pu inviter sa mère à venir travailler avec lui, après sa naturalisation belge, en 2018, il lui a offert ce à quoi elle n’avait jamais pu s’autoriser dans la société tunisienne, se chercher dans la danse et trouver ses espaces de liberté, il lui a proposé un contrat de travail, pour danser. C’est un geste politique en même temps qu’un geste de tendresse.

Huit semaines pour monter cette pièce est un temps court. Mohamed Toubakri explique : « j’ai été confronté au fait que ma mère montait sur scène pour la première fois. Quand nous nous mettons à danser, nous ne parlons pas le même langage, j’ai donc dû déconstruire ma façon de communiquer et de transmettre, retourner aux fondamentaux sans pour autant simplifier. » De plus au sein de l’équipe il est le lien, faisant fonction de traducteur du tunisien au français et vice versa autant que faire se peut.

© Christian Tandberg

On est donc face à une pièce atypique, entre la virtuosité du danseur dans l’exigence de son art et la fragilité d’une danseuse non-professionnelle loin des normes de la danse, et dont il raconte l’histoire. La rencontre fonctionne magnifiquement et les deux mondes s’approchent dans la bienveillance et le plaisir d’être là. La chute du spectacle est inattendue et pleine d’humour, elle transforme l’héroïne en figure totem et sacrée, vierge-mère et grande prêtresse vêtue d’un manteau cérémoniel. On est dans le clin d’œil et le ludique.

L’idée était osée, Mohamed Toukabri l’a développée avec simplicité et dans les moindres vibrations. Dans The Power (of) the Fragile, il abolit les styles et joue de l’intergénérationnel et de l’interculturel. C’est plein de vie et de complicité tendre, c’est un échange privilégié entre un fils et sa mère.

Brigitte Rémer, le 10 février 2024

Concept et chorégraphie Mohamed Toukabri – performance Mimouna (Latifa) Khamessi, Mohamed Toukabri – dramaturgie Diane Fourdrignier – création lumière et scénographie Lies Van Loock – conception sonore et conseil artistique Annalena Fröhlich – coordination technique de la tournée – matthieu Vergez – régie son Paola Pisciottano – costumes Ellada Damianou – recherche et développement Eva Blaute – stagiaire Constant Vandercam.

Vendredi 26 janvier à 19h, samedi 27 et dimanche 28 janvier à 17h, au Théâtre de la Bastille, 76 rue de la Roquette. 75011. Paris – tél. :  01 43 57 42 14 – site : www.theatre-bastille.com et www.faitsdhiver.com